LA PEINTURE DE FREDERIQUE (STEVENS)

ET LA NATURE DU FEU

Il y a dans la peinture de Frédérique des élancements de feu dont l'origine se retire ou plutôt se manifeste à nous comme une question. D'où vient le feu?

Nous savons d'après le Zohar que le feu se déploie selon plusieurs dimensions .

Noire, bleue ou rouge est la flamme terrible qui détruit la substance de la chandelle, jaune celle qui éclaire et puis blanche ou translucide est l'aura qui rassemble les couleurs entres elles et à la chandelle. C'est dans cette aura que l'on peut passer la main sans se brûler.

Selon ces descriptions, la peinture de Frédérique serait de la nature de la flamme. Bleue, noire, rouge et puis le jaune. La flamme sereine et translucide évidemment ne devrait pas apparaître immédiatement. Présence subtile, interrogation échappant au feu dévorant.

D'où la flamme blanche tire-t-elle sa ressource? Il faut un long temps pour s'approcher d'abord de la question et puis de cette flamme elle-même. Car l'aura blanche n'apparaît pas dans la peinture de Frédérique. Nous la pressentons. Peut-être pouvons -nous nous en approcher tout d'abord par un chemin de connaissance, puisque les textes anciens nous enseignent que c'est la blanche qui unit la jaune et la sombre, qui les unit entre elles et ainsi qu'à la matière destructible. Ainsi les toiles de Frédérique qui présentent cette union (la sombre avec la jaune) sont nécessairement rendus possibles par la blanche. Où est la flamme blanche? Jean Paulhan avait demandé un jour à Georges Braque : "d'où vient la lumière de ce tableau?î, et le peintre avait répondu qu'elle venait d'un autre tableau. Dans cette première approche de l'oeuvre de Frédérique, la flamme blanche semble aussi provenir d'un autre tableau. On rencontre dans l'atelier de Frédérique une toile bleue et blanche et une autre toile entièrement jaune.

Le blanc qui illumine le bleu serait ici la possibilité même qu'il y ait ailleurs dans une autre toile) cette substance jaune de la flamme. Nous remarquons encore que là où le bleu se déploie ou bien s'assombrit dans sa nature dévastatrice, c'est là que le peintre a écrit ces paroles d'Emmanuel LÈvinas : "l'absolument Étranger seul peut nous instruire, et il n'y a que l'homme qui puisse m'être absolument étranger". La couleur s'épaissit du bleu vers le noir là où l'absolument étranger s'échange avec l'homme dans la nature dévastatrice du feu. L'étranger se ressource à la jointure où le bleu dévore la matière. Les lettres légèrement écrites en clair (en blanc), sont-elles ici l'approche de cette autre lumière translucide qui rassemble dans l'étrangeté, c'est-à-dire l'humanité, ce qui dévore et ce qui sauve?

Lorsque l'on interroge Frédérique, elle dit que ces toiles inachevées sont en attente d'être patinées de blanc. La clarté des lettres serait comme en attente d'un autre blanc à venir et qui ressemble à ce silence dont Frédérique dit qu'il est sa qu'te en peinture. Ainsi dirons-nous, dans cette toile inachevée, le feu blanc vient des lettres, et la toile est en attente d'un autre blanc. Seuil de la peinture. Serions-nous ici à l'inverse de l'écriture où le feu noir des lettres s'inscrit sur le feu blanc du parchemin?

Un ensemble de trois tableaux patinés de blanc vient nous enseigner d'autres mystères sur la nature du feu. Toutes les couleurs du feu s'y déploient. Et même le blanc intégré dans la circularité d'un appel. Le triptyque intègre les couleurs du feu et l'expérience de l'écoute dans la forme rapide d'une oreille. Puis dans l'enchevêtrement des couleurs, l'aspect d'une lettre hébraïque, le "yod" que est le "10" et qui dit aussi "youd", c'est-à-dire "juif". La circularité des formes s'ouvre chaque fois sur le côté et sur un autre centre qui est un ancrage et l'appel vers autre chose. Est-ce l'étranger humain dont nous parlaient les lettres d'un autre tableau?

Ce centre qui se retire, nous l'apercevons aussi dans les yeux sombres peints sur une autre toile où encore des creux comme des stigmates dans des mains ouvertes. Mais indiquant un appel vers l'autre de l'autre, ressource sereine et retirée du désir.

Ici la racine des dévastations provient d'un horizon retiré de calme. Quelque chose qui ressemble au vide (sans que celui-ci ne se montre dans l'éloquence d'une doctrine). Un vide multiforme dans la proximité des célébrations. Le centre en attente. Ou encore le centre comme expérience de l'attente. Peut-être l'ouverture sur le côtÈ est-elle notre lieu, à nous, humains et étrangers, notre rapport subtil au centre. Notre calme. Là où le Psaume dit : "Pour Toi, le silence est louange".

M.L. C.

 

D'où vient le feu? Le Sepher Yetsirah nous enseigne : le feu vient de l'eau, l'eau vient du souffle, le souffle vient et souffle et cet autre souffle vient du Dieu vivant. Ainsi la vie palpite dans la proximité du feu.


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Mise à jour : 6 février 2005