Guta Tyrangiel Benezra est née dans un ghetto en Pologne le 26 octobre 1940. Miraculeusement sauvée par une famille polonaise chrétienne alors que sa mère fut brûlée vive dans un camp de concentration et que son père périt avec les martyrs du Ghetto de Varsovie, elle vécut et grandit dans sa famille adoptive polonaise. C'est vers l'âge de 20 ans qu'elle retrouva ses racines juives. Elle suivit une carrière internationale de juriste. Puis un jour, le 26 octobre 1992, Guta peint la première aquarelle d'un cycle "Mémoire bariolée", et elle se met à écrire en trois langues (français, anglais et polonais). Le 10 janvier 1993, cinquante après, jour pour jour, la mort de sa mère dans les flammes, elle écrit des poèmes. Toute l'horreur de son enfance transparaît, métamorphosée, et débouche dans la lumière d'une vie et d'une oeuvre où elle devra reconquérir son histoire et sa mémoire. Offrant son témoignage comme une parole vive pour le monde.
Je voudrais essayer de dire trois choses à propos de l'oeuvre de mon amie Guta :
- sa parole comme témoignage
- la naissance de son oeuvre et son développement comme vison, peinture et écriture
- la peinture comme approche et connaissance de l'événement
Tout d'abord la parole de Guta est toujours témoignage. Je voudrais dire simplement que la parole de Guta allie avec bonheur et jusque dans la provocation (combien de fois chère Guta, nous nous sommes disputées...) l'universel du témoignage et la chaleur la plus intime de l'amitié. Guta témoigne pour la terre entière, pour tous les enfants persécutés, et elle donne son amitié avec force et abondance.
Cette alliance de l'universel et du singulier se dévoile dans son oeuvre également comme élaboration d'un art à partir d'un autre. C'est une vision qui surgit en elle, qui donne une peinture à partir de laquelle elle écrit. Guta nous enseigne ce mouvement de la création : "Les émotions sont sorties sous forme d'images et ensuite la parole poétique les accompagnait de façon tout à fait irréfléchie... Le matin j'ai regardé les peintures en disant : mais qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'est-ce que cela me rappelle ? Et puis les mots arrivaient, ils se formaient en vers, en mélodie. Il y avait des sens. Il y avait des choses inhabituelles pour moi, et les récits se son constitués quand il y a eu suffisamment de poèmes..."
La peinture chez Guta est un chemin de connaissance. C'est par la peinture qu'elle accède à la connaissance des événements et de la terreur de sa toute petite enfance. C'est par la peinture qu'elle accède à la connaissance de sa mère : "Ce n'est pas un fait historique, c'est un peu la mémoire émotive de ma part ; je l'ai retrouvée surtout en écrivant ce récit et en peignant et en me remémorant les cauchemars que j'ai faits encore longtemps après la guerre. Parce qu'il me semble que ma mère a pu à un moment donné, s'échapper dans la nuit pour revenir chez la famille polonaise qui me gardait... En écrivant et en peignant, beaucoup d'événements ont pris un sens et se sont imposés presque comme des faits... Et ma mère, je m'en souviens parce que je peins beaucoup de femmes, partait avec les cheveux au vent, je sais qu'elle avait des cheveux longs, je sais parce que je me souviens que la famille adoptive m'avait dit qu'elle était partie par la fenêtre lorsque les Allemands se sont présentés à la porte... Et moi je courais après elle et donc on m'a cachée quelque part, je ne sais pas où, dans une armoire ou ailleurs. Elle est partie de cette façon la dernière fois que je l'ai vue, elle est partie..."
Alors inspirée par les paroles de Guta et par son oeuvre, je voudrais lui offrir ce poème où il est question de la chevelure de sa mère...
L'oeuf se révulse dans la figuration des attentes incendiaires. Suivant sa genèse, selon la lenteur de son développement, dans la hardiesse des maturations inédites, il devient un oeil. Gardien attentif des incandescences.
Qui est l'oeil ?
Il est le gardien de la question quand un trou de vision se dégage des flamboiements. Du vide vient sa nature suprême.
Les soleils ont jeté les brillances, et dans sa coquille de confort, selon la douceur de ses attentes, l'embryon ( l'hébreu) se développe en quête de l'oeil.
L'oeil voit l'embryon.
Quand j'étais un golem, dit l'auteur des Psaumes, ton oeil me voyait.
L'oeuf s'est transformé en oeil
L'embryon est devenu vision
L'hébreu s'est fait voyant
Lorsque l'hébreu devient voyant, le soleil se dégage des orifices insensés, le feu se fait gardien des mémoires et un geste pâle vient sur nos lèvres peintes.
Est-ce cela le Hachmal de la Vision d'Ezechiel : la transformation de l'oeuf en l'oeil ? L'approche de l'hébreu voyant ?
La chevelure de la mère de Guta (Guta peint toujours la chevelure de sa mère) est le champ de Hachmal d'où s'élève le poème.
Monique Lise Cohen
Les citations de Guta sont extraites de l'ouvrage : L'écriture et la guerre. Toulouse, Bibliothèque Municipale, 2000.
Guta Tyrangiel Benezra a publié : Mémoire bariolée (en français, anglais et polonais). Ottawa, Ed. Legas, 1995.
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Mise à jour : 6 février 2005